“Je suis partie du Japon le 25 octobre 1984 sans savoir que cette date marquerait le début d’un compte à rebours de quatre-vingt-douze jours qui allait aboutir à une rupture, banale, mais que j’avais vécue alors comme le moment le plus douloureux de ma vie. J’ai tenu ce voyage pour responsable. De retour en France, le 28 janvier 1985, j’ai choisi, par conjuration, de raconter ma souffrance plutôt que mon périple. En contrepartie, j’ai demandé à mes interlocuteurs, amis ou rencontres de fortune : « Quand avez-vous le plus souffert ? » Cet échange cesserait quand j’aurais épuisé ma propre histoire à force de la raconter, ou bien relativisé ma peine face à celle des autres.”
Sophie Calle
"C’était une fin d’après-midi hivernale, en 1974. Je ne me souviens ni du mois ni du jour. Ce devait être un samedi. Une demi-heure plus tôt, rue Scribe, alors que j’étais follement épris de lui, T. m’avait annoncé notre rupture. Je ne sais plus quels mots il avait employés, mais ils avaient un caractère définitif. Je me suis retrouvé seul, place de l’Opéra. J’ai descendu les marches du métro, tandis que sortait de mon estomac, sortait de ma gorge, sortait de ma voix, une voix que je n’avais jamais entendue. Je poussais des braillements qui me stupéfiaient, me tordaient le ventre, ouvraient grande ma bouche. Je hurlais dans le métro. Par hasard, j’avais entre les mains une pile de quarante-cinq tours : les tubes de l’été. Je me suis effondré sur un banc. Alors, un Noir assis à côté de moi m’a retiré très doucement les disques des mains, il en a lu les titres à haute voix, en les chantonnant au fur et à mesure. Love me Baby, Sugar Baby Love… Le métro est arrivé, j’ai repris les quarante-cinq tours. Mes cris avaient cessé, mes larmes ruisselaient."
Sophie Calle par Jean-Baptiste Mondino
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