Mahmoud Traoré quittait son village du Sénégal, pour tenter le périple vers l'Espagne. Il y arrivera, après trois et demi d'une incroyable odyssée. On ne peut pas, de notre vie opulente et douce, imaginer les épreuves traversées par ces gens. C'est complètement hors de nos cadres de vie et de pensée. On découvre, au long du récit de ce voyage, toute une série de sociétés, organisées pour vivre de l'émigration, dans toute l'Afrique sub-saharienne, saharienne et au Maghreb. Le racket est la règle, répétée des dizaines de fois, le risque de se faire battre, tuer sous les yeux des autres candidats au voyage, abandonner dans le désert par des passeurs malveillants est extrêmement élevé. La chance d'arriver au bout des catastrophes successives est maigre.
Ce qui pose question, c'est l'immense motivation de ces personnes, vivant pauvrement, mais dans des conditions humaines très acceptables, au milieu de réseaux familiaux et de solidarité qui leur garantissent, en principe, une vie modeste mais sereine. Pourquoi quittent-ils leurs villages africains ? A la lecture de ce récit, c'est incompréhensible. Il y a de toute évidence, dans la réponse, la relative réussite de ceux qui, parvenus au bout de leur voyage, arrivent à soutenir un clan familial, en envoyant de temps en temps des mandats, et provoquant une admiration chez les proches. Sans doute aussi, les volontaires pour la grande traversée ignorent ce qui les attend.
Au long de cette tragédie, une escale heureuse, à Alger, où une jeune veuve propose à Mahmoud de fonder une famille. Elle tient une restaurant familial, il aurait une vie aisée et même la possibilité de voyager pour revoir sa famille... Mais il refuse et file vers les affres de l'épisode marocain, terrible. Il ne se sent pas en Afrique, dans les pays du Maghreb...
La restitution, à laquelle a aidé Bruno Le Dantec, mêle habilement le récit du voyage à des paragraphes décrivant le milieu sénégalais d'où vient Mahmoud, et la culture, incroyablement riche et complexe de laquelle il s'extrait.
Après cette lecture, on ne peut pas avoir le même regard sur ces hommes de couleur, quand on les croise dans les taches sous-prolétariennes qu'on leur réserve, et qu'ils sont les derniers à accepter encore.
Une lecture à ne pas manquer.
Paru récemment, cette année.
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