Ô démocratie !
Que de crimes on commet en ton nom ! Comme ils sont solidaires dans l’infamie, ceux qui te tiennent dans leurs serres ! Comme ils s’entendent à merveille sur ton dos, les bons larrons en costumes trois pièces, les rastaquouères de la finance, les hypocrites du grand banditisme capitaliste ! Invisible la main qui nous tient ! Invisibles les prêtres du temple de l’Argent, abstraits les indicateurs de Bourse, inattaquables les cumulards de fonctions, de titres et de conseils d’administration ! Ô démocratie comme ta robe est salie ! Les golden salopards font mine de te servir par la voix de leurs séides, et t’éclaboussent de leurs prébendes tandis que les valets du patronat – supercherie intégrale – scandent les vertus d’une société libérale qu’ils ne sont pas prêts de lâcher !
Tout est calculé ! Le pauvre sera plus pauvre. Les classes moyennes seront chloroformées par le crédit et le consumérisme. Les Partis seront tenus en laisse. Adieu la Politique ! Adieu le pouvoir des élus ! Le système est diabolique ! On a laissé aux ministres, les manières, la pratique d’un logos un peu ronflant et le privilège des palais dorés de la République mais leurs actes désordonnés, leurs gesticulations de circonstances, leurs promesses fallacieuses sont des faux semblants. Le clinquant des annonces aussitôt dénoncées fait l’indignation de tous. Les paillettes, la bling-blinguerie et le pouvoir centralisé achèvent de les éloigner du peuple, les disqualifient, les renvoient aux cavernes de la dérision.
Les dernières élections régionales nous ont crevé les yeux ! Les Français tournent le dos à la politique et manifestent leur grogne en boudant les isoloirs. Ils disent aux Partis que c’est fini la barcarole. On la leur a chantée trop longtemps. Ils préfèrent vivre les péripéties du rêve individualiste. Ils choisissent le chacun pour soi. Le courage, chacun. Ils se replient sur les machines. Ils se projettent dans le virtuel.
De plus en plus, leur interlocuteur invisible est une pieuvre derrière un écran. C’est l’écran qui prime, ce sont les machines qui dictent les conduites. La télé, le culte des marques, le rite des soldes, le crédit à tout crin, ont fabriqué des générations de veaux. Leurs pratiques ont formaté nos comportements pressés. Le numérique, la téléphonie mobile, la jungle du web accélèrent la marche vers le vide. Sous prétexte de communication et de liberté, Big Brother, à chaque seconde, capture des millions de gens dans les filets de la dépendance.
Les jeunes sont désormais incapables de vivre sans l’apport des prothèses numériques. Ils perdent leur vocabulaire. Ils ont perdu les mots. SMS, borborygmes. La musique poupoum les rend sourds. Les parents sont absents ou consentants. Qui perd ses mots se réfugie dans la violence !
Seuls les plus forts d’entre nous seront encore susceptibles de se rebeller. A l’heure où l’on étrangle les livres, je prône le retour à l’écran fondamental. Le vrai, le seul écran qui vaille : celui de Louis Lumière. Face à la barbarie qui s’installe et s’attaque à la Culture, je trouve que le cinéma peut faire figure de digue. Je crois au réchauffement culturel sur la base du partage. Dans sa diversité, grâce à sa force d’observation, le cinéma s’oppose à la volatile expression télévisuelle. Le cinoche a du plomb dans la tête. Il a un passé. Une histoire. Il est gage de pondération, de réflexion. Il laisse le spectateur libre de son choix. Il rend à ceux qui le fréquentent leur libre arbitre. J’allais dire leur dignité. Leur citoyenneté. Choisir son film, les acteurs qui l’animent, le créateur qui l’a conçu et porté souvent pendant plusieurs années est désormais un acte militant. Il prouve qu’on n’a pas peur d’être avec les autres. Qu’il n’est pas interdit de communiquer au niveau des émotions et de partager les pleurs et les rires de ses semblables dans la complicité d’une salle obscure. Gardarem lou cinoche !
à paraître dans La gazette du cinéma Jean Eustache,
CARNETS POLAROÏDS.
Jean VAUTRIN
Thanks to Rafael
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