samedi 6 mars 2010

Fantasme

"...

Le soleil brillait, l'air était frais mais peuplé de brises tièdes, les gens avaient l'air gai, et il me sembla que toute cette allègre atmosphère allait se précipiter sous ta robe, la gonfler comme un ballon captif, la retourner comme un parapluie, découvrant un bas-ventre qui serait forcément nu et que tu t'envolerais au milieu des rires et des cris de terreur ravie, tu lâcherais les bagages comme des sacs de sable dans les romans de Jules Verne, tu t'élèverais doucement dans le ciel, sans que je puisse te retenir par une ficelle, je renverserais la tête pour mieux voir tes entrées par en-dessous, tes jambes de nageuse pédalant dans le ciel, le haut du corps caché par la corolle blanche de la robe et puis, nouveaux hauts cris, ce serait le tour de la marchande de quatre saisons, ses grands yeux noirs, son visage aux beaux méplats disparaîtraient dans l'entonnoir de sa jupe à ramages soudain relevée vers le ciel, et le tablier bleu, en partie détaché, flotterait comme un oriflamme derrière elle tandis qu'elle s'élèverait au-dessus des aubergines noires comme la mort et des abricots doux comme des joues. La marchande non plus ne porterait pas de culotte, et tout le monde pourrait voir que c'est une vraie brune, et puis suivrait la directrice d'école, tout aussi déculottée et plus d'un élève serait là pour la révélation trop tardive  et fugace de sa touffe quinquagénaire s'éloignant et encore deux trois quatre passantes, et même la dame de la laverie, avec ses jambonneaux et son mont chauve, et la petite vieille en train d'acheter un concombre : on ne verrait bientôt plus que lui brandi par-dessus le rebord soulevé haut de sa robe de veuve, en décollant elle nous révèlerait entre ses genoux cagneux à quel point par là elle était bien conservée et l'on comprendrait aussitôt son hygiénique secret : dès les premiers beaux jours, depuis 1944, mettre sa vulve à l'air libre, et aussi la lycéenne en minijupe et toutes, craquettes parfaites à leurs premières galipettes, chattes musclées au long d'innombrables gouttières, organes blanchis sous le harnais aux longues lèvres lissées d'usures, tous ces doux minous bondiraient vers le ciel, toutes les sans-culottes de la rue - quelle surprise, qui eût cru qu'il y en eût tant ? - toutes les sans-culottes auraient le privilèges de s'envoler en premier, après viendraient les culottées, et l'on verrait beaucoup de "Petit Bateau" naviguer dans le ciel, et aussi de la dentelle noire, des strings, des choses ajourées, le catalogue des petites perversions pépéres par correspondance, et enfin les grosses culottes roses, ces espèces d'infects sacs nylon assortis aux terrifiantes gaines auraient bien du mal à s'élever, et toutes ces dames, les impudiques et les autres rejoindraient sur les toits leurs hommes en train de marner pour retrouver sous les tuiles la plage, et l'on s'étreindrait sur le sable chaud, seules resteraient en bas, bien seules, bien fait, les femmes en pantalon.

..."

Extrait de "Je te dirai tout",

Serge QUADRUPPANI

Ed. Blanche

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

postiches