samedi 16 octobre 2010

...Le 14 au matin, l'Empereur partit de Smolensk

avec les régiments de grenadiers et de chasseurs ; nous les suivîmes, quelque temps après, en faisant l'arrière-garde, laissant derrière nous les corps d'armée du prince Eugène, Davoust et Ney réduits à peu de monde; en sortant de la ville, nous traversâmes le Champ sacré, appelé ainsi par les Russes. Un peu plus loin de Korouïtnia se trouve un ravin assez profond et encaissé; étant obligés de nous arrêter afin de donner le temps à l'artillerie de le traverser, je cherchai Grangier, ainsi qu'un autre de mes amis, à qui je proposai de le traverser et de nous porter en avant pour ne pas nous geler à attendre; étant, de l'autre côté, forcés de nous arrêter encore, nous remarquâmes trois hommes autour d'un cheval mort; deux de ces hommes étaient debout et semblaient ivres, tant ils chancelaient. Le troisième , qui était un Allemand, était couché sur le cheval. Ce malheureux, mourant de faim et ne pouvant en couper, cherchait à mordre dedans; il finit par expirer dans cette position, de froid et de faim. Les deux autres, qui étaient deux hussards, avaient la bouche et les mains ensanglantées; nous leur adressâmes la parole, mais nous ne pûmes en obtenir aucune réponse : ils nous regardèrent avec un rire à faire peur et, se tenant le bras, ils allèrent s'asseoir près de celui qui venait de mourir, où, probablement, ils finirent par s'endormir pour toujours.
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Extrait des mémoires du Sergent Bourgogne, éditions Arléa, p. 107

Un récit de la campagne de Russie raconté au jour le jour par un sergent de la Garde impériale qui a survécu à l'aventure (30000 en sont revenus sur 690000 environ, engagés au départ). Le 14 en question, c'est en novembre 1812, lors de la retraite consécutive à l'incendie de Moscou. Un récit incroyable, très précis, proche du fantastique.


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