avec les régiments de grenadiers et de chasseurs ; nous les suivîmes, quelque temps après, en faisant l'arrière-garde, laissant derrière nous les corps d'armée du prince Eugène, Davoust et Ney réduits à peu de monde; en sortant de la ville, nous traversâmes le Champ sacré, appelé ainsi par les Russes. Un peu plus loin de Korouïtnia se trouve un ravin assez profond et encaissé; étant obligés de nous arrêter afin de donner le temps à l'artillerie de le traverser, je cherchai Grangier, ainsi qu'un autre de mes amis, à qui je proposai de le traverser et de nous porter en avant pour ne pas nous geler à attendre; étant, de l'autre côté, forcés de nous arrêter encore, nous remarquâmes trois hommes autour d'un cheval mort; deux de ces hommes étaient debout et semblaient ivres, tant ils chancelaient. Le troisième , qui était un Allemand, était couché sur le cheval. Ce malheureux, mourant de faim et ne pouvant en couper, cherchait à mordre dedans; il finit par expirer dans cette position, de froid et de faim. Les deux autres, qui étaient deux hussards, avaient la bouche et les mains ensanglantées; nous leur adressâmes la parole, mais nous ne pûmes en obtenir aucune réponse : ils nous regardèrent avec un rire à faire peur et, se tenant le bras, ils allèrent s'asseoir près de celui qui venait de mourir, où, probablement, ils finirent par s'endormir pour toujours.
...
Extrait des mémoires du Sergent Bourgogne, éditions Arléa, p. 107
Un récit de la campagne de Russie raconté au jour le jour par un sergent de la Garde impériale qui a survécu à l'aventure (30000 en sont revenus sur 690000 environ, engagés au départ). Le 14 en question, c'est en novembre 1812, lors de la retraite consécutive à l'incendie de Moscou. Un récit incroyable, très précis, proche du fantastique.
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