dimanche 5 mai 2019

RIC, le référendum d'initiative citoyenne expliqué à tous, par Raul Magni-Berton et Clara Egger

Les deux auteurs principaux ont répondu à un journaliste de Marianne, et cela éclaire grandement les points forts de ce livre...

Un livre co-écrit avec Ismaël Benslimane, Nelly Darbois, Albin Guillaud et Baptiste Pichot.


Avec "Le référendum d'initiative citoyenne expliqué à tous", Clara Egger et Raul Magni-Berton font un état des lieux du RIC en analysant sa pratique à travers le monde. Ils nous livrent aussi le mode d'emploi pour la France d'un mécanisme démocratique qui se gagne par la lutte.
C'est très vite devenu la revendication emblématique des gilets jaunes, presque le dénominateur commun d'un mouvement disparate. Le RIC, référendum d'initiative citoyenne, est apparu comme l'instrument de la reprise du pouvoir pour une population oubliée. Un évènement historique, car il est rarissime qu'un mouvement social réclame une mesure institutionnelle. Clara Egger et Raul Magni-Berton, deux universitaires grenoblois qui travaillent depuis des années sur la démocratie directe, l'ont remarqué tout en constatant que nombre de responsables politiques et de commentateurs redoutaient ce RIC perçu comme un dangereux saut dans l'inconnu de la volonté populaire.
Pourtant, on dispose de recul sur ce mécanisme existant dans 36 pays à travers le monde, bien qu'il n'ait jamais été utilisé dans 18 d'entre eux. Car le RIC compte nombre de variantes et certaines se révèlent impraticables. Les deux chercheurs en science politique nous l'apprennent dans Le référendum d'initiative citoyenne expliqué à tous, un livre qui relève aussi bien du mode d'emploi que de la méta-analyse. Il s'appuie en effet sur l'ensemble des études disponibles pour délivrer quantité de données sur ce référendum et ses conséquences. Un travail d'intérêt public à recommander à chacun, du bord des ronds-points à l'Elysée.
Marianne : Comment un pays en vient-il à instaurer le RIC ?
Clara Egger : On parle beaucoup d'une culture du compromis propre à la Suisse, en oubliant que le RIC y a résulté d'une lutte politique. C'est toujours quelque chose que les élus lâchent, car ils perdent du pouvoir en démocratie directe. La pression populaire les y contraint, comme en Suisse où l'on a frôlé plusieurs fois la guerre civile alors que des territoires réclamaient l'auto-gestion.
Raul Magni-Berton : En Europe de l'est, en Amérique du sud comme en Italie où on l'accorda à la chute de Mussolini, il a accompagné le passage d'une dictature à la démocratie. Contrairement à la Suisse ou aux Etats-Unis, il n'y a pas eu de lutte. Mais cela donne un RIC sans grand intérêt, car on l'a donné en le bridant.
"Les modèles qui marchent ont des seuils de signatures accessibles. (...) Les citoyens doivent aussi obtenir un contrôle total."
Vous constatez qu'il ne fonctionne bien qu'en Suisse et dans les états américains. Pourquoi ?
RMB : Le modèle suisse est le plus pur car il englobe tous les sujets en permettant une révision constitutionnelle, ce qui est également le cas dans de nombreux états des Etats-Unis, mais pas au niveau fédéral. Au contraire, dans le modèle sud-américain, beaucoup de sujets sont interdits. Or pour que le dispositif améliore les politiques publiques, notamment au plan budgétaire, les citoyens doivent obtenir un contrôle total.
CE : Les modèles qui marchent ont aussi des seuils de signatures accessibles, et encore plus importante est la question du quorum, taux de participation minimal pour valider une décision. Un instrument pour tuer le RIC.
Il témoigne tout de même de l'intérêt des gens concernés. Et en Suisse comme aux Etats-Unis, le taux de participation moyen s'avère faible. Y aurait-il un manque d'appétence pour cette démocratie directe ?
CE : Le RIC produit des publics sur des enjeux. Des gens se déplacent sur certains sujet et pas sur d'autres. Si je suis intéressé, je me renseigne et me prononce. Sinon je ne me déplace pas, et ce n'est pas grave. La participation pose problème quand elle renvoie à de l'exclusion, comme en France où l’abstention exprime un rejet du système plus qu'un désintérêt.
En France, il y a aussi comme une tendance à rejeter le peuple. Pour écarter l'idée du RIC, on suppose qu'il va mal voter...
CE : Ce même argument autrefois utilisé contre le suffrage universel ou le vote des femmes qu'on disait manipulées par les curés. Alors que si les gens ne sont pas sûrs de leur vote, s'ils trouvent la proposition trop risquée, ils la rejettent.
On observe ainsi des résultats plutôt mesurés.
RMB : Les décisions sont proches de ce que pense une personne moyenne et modérée. On constate aussi une plus grande responsabilité économique. Les pays avec le RIC ont moins de dette, moins de dépenses publiques. Chacune est évaluée en conséquence car ceux qui la votent la payent.
Il y aurait aussi une meilleure redistribution.
CE : Il est difficile d'être trop affirmatif car peu de pays disposent du RIC en matière fiscale. Reste que les chercheurs ont constaté que la dépense publique ne se fait pas au détriment des pauvres mais au bénéfice de la communauté.
RMB : Il n'y a ni plus ni moins de justice sociale avec la démocratie directe, mais davantage de redistribution grâce aux économies effectuées. En Suisse, il y a moins d’impôt, mais il va beaucoup plus qu'en France des riches vers les pauvres. Aux Etats-Unis, le président Madison refusa d'ailleurs la démocratie directe au niveau fédéral car il pensait que les pauvres allaient piller les riches, sauf que ce n'est pas le cas là où elle existe. Ce sont des pays capitalistes, mais leur fonctionnement permet aux pauvres de taxer les riches si besoin.
Le RIC ne représente pas non plus forcément l'avant-garde de la démocratie. Des états américains l'ont utilisé pour ré-introduire la peine de mort et la Suisse n'a accordé le droit de vote aux femmes qu'en 1971.
CE : Quand on a beaucoup de droits politiques, on a tendance à restreindre leur extension. Devenir un citoyen suisse prend ainsi longtemps, avec un contrôle très fort. Quant à la peine de mort, c'est l'opinion de la majorité qui compte. Les Etats-Unis sont connus pour l'aimer, le RIC ne fait que le refléter.
RMB : Sur ces mêmes sujets, mais en inversant les pays, on peut aussi avoir deux exemples de progressisme. Le Colorado fut le premier territoire à accorder le droit de vote aux femmes, par RIC en 1893, 51 ans avant la France. De son côté, la Suisse a voté contre la peine de mort en 1938, soit 43 ans avant la France.
Parmi les pays qui se sont dotés du RIC en Europe, certains ont-ils réinstauré la peine de mort ?
RMB : Non. Toutes les votations européennes depuis le 20ème siècle ont été contre, à l'exception d'un référendum d'initiative présidentielle en Biélorussie. Le RIC n'a lui jamais conduit à la moindre demande pour réintroduire cette peine.
Y a-t-il eu des retour en arrière sur l'avortement ou d'autres droits acquis ?
RMB : Aucun. Il y a eu des votes contre le mariage des homosexuels, mais seulement quand la question se posait, jamais pour revenir dessus.
"Le RIC produit un effet pacificateur chez les plus radicaux"
Pensez-vous qu'un mariage pour tous proposé par RIC aurait conduit à moins de tensions en France ?
CE : Probablement. Le RIC n'est pas incompatible avec les manifestations, mais il produit un effet pacificateur chez les plus radicaux car c'est un outil de conflit de type argumentatif. Et comme quand on joue à un jeu dont on connait les règles, on peut reconnaître sa défaite, quitte à recommencer. Alors que si la décision vient d'en haut, on a tendance à trouver le jeu injuste.
La jeunesse suisse apprécie d'ailleurs son système politique à la différence de bien d'autres...
RMB : On le voit particulièrement chez les extrémistes. Un jeune Macroniste est comparable à un centriste helvétique, mais si l'on prend les anti-capitalistes, les ultra-nationalistes ou les islamistes, ils sont en Suisse aussi contents du système que les autres, tandis que les Français y sont totalement opposés.
L'exemple suisse renvoie à un petit pays. Le RIC peut-il s'appliquer dans des grands ?
RMB : L'endroit où il est le plus utilisé après la Suisse, c'est la Californie. Avec 40 millions d'habitants, sa population est certes moindre qu'en France, mais son PIB est supérieur. Et elle a des marges de manœuvre très grande car aux Etats-Unis près de 80 % des impôts relèvent de l'Etat. La taille n'apparait pas comme un argument majeur, mais plus on donne de compétences à des échelons infra-nationaux, mieux le RIC fonctionne en permettant d'adapter les demandes aux besoins. Il peut marcher dans un pays centralisé, mais moins bien qu'avec une autonomie fiscale importante des régions.
Richard Ferrand, le président de l'Assemblée nationale, a mis dernièrement en garde contre le RIC en y voyant en Suisse un instrument pour les lobbys. Que lui répondez-vous ?
CE : Si l'on parle de groupes d'intérêts constitués quels qu'ils soient, tel que l'association des parents du quartier, oui, les lobbys seront avantagés. Car une organisation sera plus à même de faire une pétition. Ferrand évoque plutôt les lobbys économiques, qui collaborent déjà en France avec les élus pour rédiger les lois, de façon non transparente. Avec le RIC on les voit agir. Et avant de voter, on regarde la position de ceux auxquels on s'oppose, par exemple l'industrie du tabac.
RMB : Beaucoup de gens votent en fonction de qui ils détestent. Il veut ça, je vote le contraire. A la fin les politiques publiques ressemblent beaucoup plus à ce que veut la majorité que tel ou tel lobby. Ferrand se fonde sur l'idée que l'on peut manipuler plus facilement 51 % de l'électorat qu'un président. Or un pouvoir centralisé, et encore mieux un dictateur, est beaucoup plus facile à manipuler. Avec la population, c'est très dur. On l'a vu avec le référendum sur l'Europe de 2005 ou le Brexit. Tous les pouvoirs économiques étaient pour le oui, mais le non a gagné.
Peut-être à cause d'un climat de défiance...
RMB : En Suisse, tout le monde est parano, donc on veut voir carte sur table. Et dès qu'il y a trop de pub, c'est louche.
CE : Il est prouvé que le RIC accroit la confiance dans le système politique, mais pas celle dans les gouvernants. Il accroit au contraire la méfiance et le contrôle.
"Le RIC accroit énormément la connaissance"
Accroit-il aussi la connaissance ?
CE : De façon énorme. Deux indicateurs sont connus pour évaluer la connaissance politique, le revenu et l'éducation. Une étude menée en Suisse a montré que le RIC avait le même effet que d'amener à un diplôme les personnes ayant arrêté l'école à la fin de la scolarité obligatoire. Quant au revenu, l'effet RIC équivaut à une augmentation de 5000 à 9000 francs suisses par an. Cette mesure peu couteuse augmente ainsi considérablement la connaissance.
RMB : Un sondage a aussi été fait dans les pays européens pour évaluer les connaissances sur l'Union européenne. Les Suisses se sont révélés ceux qui en comprennent le mieux le système, eux qui ont voté non à l'adhésion.
Que vous inspire le référendum d'initiative partagée lancé par près de 200 parlementaires contre la privatisation des aéroports de Paris ?
RMB : On a le nombre de députés requis, une première, mais il manque un petit détail : les signatures. Il en faut près de 4,6 millions, 10 % du corps électoral.
Un seuil inhabituel ?
RMB : Non, c'est très courant dans les pays où ça ne marche pas.
Pourquoi préconisez-vous pour la France un seuil de 700.000 personnes ?
CE : Il faut un équilibre entre pourcentage d'électeurs et chiffre absolu. 700.000 correspond à 1,7 % du corps électoral. En Suisse c'est 2 %, mais la Suisse est petite. En Italie, c'est 1 %, mais ce n'est pas d'un niveau constitutionnel.
Vous proposez d'instaurer le RIC par une révision de l'article 89 de la Constitution, sans vous faire d'illusion. Seule une lutte de type gilets jaunes permettra-t-elle de le gagner ?
RMB : On ne croit pas qu'il sera donné. Ecouter Macron suffit pour s'en convaincre. Il peut certes proposer comme il semble vouloir le faire un RIC au niveau local, mais cela n'aura guère d'impact car les compétences des collectivités territoriales françaises sont très faibles. En l'associant avec le référendum d'initiative partagée, on serait proche d'un RIC à la russe, qui n'a jamais été utilisé car il combine des seuils trop importants et une limitation des sujets abordables. Nous voulons plutôt un RIC à la suisse. Et comme avoir un but clair rend une lutte efficace, on essaie de contribuer en montrant le plus évident, facilement revendicable.
*RIC, le référendum d'initiative citoyenne expliqué à tous, de Clara Egger et Raul Magni-Berton, FYP, sortie le 19 avril.








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